Nous venions de nous attabler dans un bistrot parisien après une dense journée de formation professionnelle. Je ne me rappelle plus vraiment comment nous avons dérivé avec mon interlocuteur d’en face sur nos passions respectives. 

Lui était alpiniste chevronné, et avait parcouru les plus grandes voies alpines, moi, je n’étais que pêcheur à la mouche. Dans la hiérarchie de l’engagement et de la dangerosité des activités de nature, il me semblât que l’alpinisme fût bien au-dessus. Mais je fus surpris par ses grands yeux, emplis d’émerveillement et de curiosité, après que je lui confiai mon addiction : « Tu pêches à la mouche ? » s’assura-t-il comme s’il venait de rencontrer un mythe. « Ça, c’est vraiment un truc que j’aurais aimé pratiquer ! ». Nous passâmes la soirée entre les truites de Nouvelle Zélande et la traque des bonefish sans que je ne puisse avoir le loisir de lui poser une seule question sur la face nord des Grandes Jorasses ou sur le pilier Bonatti, qui venait de disparaître suite au réchauffement climatique.

Le lendemain, profitant des rares et paisibles heures du voyage retour en train, encore étonné de ce partage à contre-sens, je me dis que j’avais peut-être là, un vrai sujet de film.

Je couchais alors sur une page blanche cette question : Tu pêches à la mouche ?

Puis l’inspiration vînt et me remémorant mon propre parcours de pêcheur, je commençai à écrire ce qui m’avait amené à ne plus vouloir pêcher qu’à la mouche. Guidé par mes bonnes lectures (John Gierach, John D. Voelker, David James Duncan ou encore Edward Abbey), je retrouvais dans les pensées philosophiques de ces auteurs ce qui continue, encore aujourd’hui, à m’attirer au bord de l’eau. Mon texte était prêt, vu et revu, corrigé plusieurs fois, synthétisé. Ne restait plus qu’à le mettre en image.

Cependant, pour être vérace, il fallait rester honnête et montrer ma réalité de pêcheur, celle de la majorité des pêcheurs en France : des truites de taille modeste. Se posait alors un problème pour donner de la dimension au film. Ce n’est pas avec des truites de vingt-trois centimètres et une vieille soupe philosophique que l’on va donner envie… Et si au lieu d’un pêcheur barbu et mysogine, on montrait une pêcheuse gracile, une Erato, une belle muse poétique ? Je tenais l’idée. Le reste fut une affaire de séduction.