Hoplias Aïmara : c’est le nom scientifique d’un poisson embusqué au plus profond des rivières de la forêt amazonienne. J’ai entendu parler de ce poisson pour la première fois par Jean-Baptiste Nurenberg que je connaissais simplement par ses articles sur les revues halieutiques et pour l’avoir croisé à quelques reprises sur les projections du Rise Festival et sur les salons de pêche.

Jean Baptiste que je ne surnommais pas alors JB vînt me voir sur le salon de la pêche de Clermont-Ferrand en 2017. Il venait de rentrer de Guyane avec des étoiles qui scintillaient dans ses yeux lorsqu’il commença à me parler de son voyage et de sa rencontre avec l’aïmara.

A grand renfort de superlatifs, il ne força pas beaucoup pour me rallier à son idée : filmer une première, une expérience unique, prendre un aïmara à la mouche. Pour moi qui me considérais et me considère encore amateur dans le domaine, vouloir réaliser un film dans un environnement aussi extrême et aussi éloigné m’apparut cependant totalement surréaliste. Sans trop y croire, je dis à JB qu’il fallait monter cette expédition et la programmer suffisamment à l’avance pour parfaire son organisation.

Un tel périple ne doit pas être pris à la légère, ce n’est qu’une fois planté dans le décor que j’ai pu commencer à réaliser. Cela faisait la quatrième fois que JB revenait en Guyane. Après plusieurs prises de contact, connaissant bien le terrain, il finit par trouver un certain Julien Rossignol qui depuis quelques années proposait des prestations de guidage naturaliste sur plusieurs rivières de Guyane. Julien connaissait bien le Sinnamary et connaissait bien la forêt : deux atouts indispensables pour optimiser notre tournage dans un milieu qui allait se révéler aussi hostile que grandiose.

Pendant que JB s’occupait de l’organisation du voyage, je me plongeais dans diverses documentations sur la Guyane pour m’imprégner de cet environnement d’exception et de son histoire. Je relus encore ses articles halieutiques sur ce mystérieux poisson. Je commençais à imaginer une trame pour le film : au-delà de la pêche d’exception de ce dinosaure d’eau douce, je voulais que l’aïmara devienne le symbole d’une humanité plus respectueuse et plus sage. Je voulais ériger ce poisson venu du fond des âges en totem d’un monde plus vertueux.

A l’appui des récits de JB et de divers documents, je me mis à écrire à mon tour : le texte me permit d’échafauder une mise en image, mon story-board commençait à prendre forme.

Ce poisson était une véritable intrigue : les données scientifiques sont quasi inexistantes et il a fallu que je me fie aux récits des combats que JB avait pu vivre pour imaginer la puissance et la rage de ce cuirassé d’écailles. Je me mis en quête de thèmes musicaux variés : contemplatifs lorsque mon drone survolerait la canopée et fendrait les brumes de la forêt, métalliques et enragés lorsque ce poisson dévalerait les rapides…

Avec 25 kg de matériel photo, je pris l’avion en compagnie de JB et nous commençâmes à nous découvrir véritablement l’un l’autre et à peaufiner notre stratégie, les mêmes étoiles scintillaient toujours dans ses yeux…

Le haut Sinnamary est une des rares rivières non aurifères de Guyane, ce qui l’a sauvée de la fièvre destructrice de l’homme. Même si le bipède en question n’a pas pu s’empêcher d’y construire le plus grand barrage hydroélectrique français, la partie amont du fleuve reste un territoire vierge et indemne : ce serait le lieu de nos aventures pour neuf jours.

« Les gars ! voici les consignes : en forêt vous regardez où vous posez le pied à chaque pas. La nuit, pour aller pisser, avant de descendre du hamac, un petit coup de lampe sur les godasses. Idem un coup de lampe à chaque pas : la nuit les serpents sont de sortie. En revenant au hamac, un autre coup de lampe à l’intérieur et secouez-le à l’envers avant de vous recoucher.  La vie en forêt est une somme de toutes ces petites attentions, si votre vigilance retombe, vous êtes mort ». Les paroles de Julien me firent subitement passer du voyage touristique à la vraie expédition. Lorsque je fis monter le drone au-dessus de la canopée et que je le fis tourner à trois cent soixante degrés, le retour en image sur mon écran de contrôle me fit brutalement prendre conscience de l’immensité qui nous entourait et de notre si dérisoire existence là au milieu.

La forêt amazonienne se caractérise également par sa pluviométrie ce que nous avons pu vérifier jour après jour. Les conditions de tournage tournèrent au casse-tête chinois : le matériel souffre énormément de l’hygrométrie extrêmement élevée et il fallut jongler entre les averses pour filmer et pour essayer de faire du poisson. Les deux premiers jours furent à la hauteur de nos espérances avec la découverte de ce poisson extraordinaire qui subitement du statut de photo et de rares documentations devenait une réalité. Mais plus la semaine avançait, plus l’ambiance au carbet du soir était alourdie par les bredouilles successives. Nos incantations au rhum arrangé additionnées à la virtuosité de JB avec une canne à mouche n’y firent rien. Il nous manquait la dernière séquence : celle de la prise d’un aïmara dans un saut, une de ces zones de rapides où le fleuve s’emballe délivrant toute la puissance de la jungle.

Résignés, après des heures de tournage dans le vide, nous devions redescendre : quatre-vingt kilomètres de pirogue et deux sauts à franchir nous séparait de la civilisation. Dernier jour, dernier soir : nous étions redescendus à Saut Takari Tanté après nous être fait douchés toute l’après-midi. Puis miraculeusement, l’orage quotidien a cessé une heure avant la nuit. JB a repris sa canne à mouche et moi j’ai envoyé mon drone sans trop y croire. Ce drone qui, miraculeusement, a réchappé à deux reprises aux mâchoires de la canopée fut peut-être le symbole de notre aventure : il ne fallait pas lâcher et y croire jusqu’au bout.  La rivière était montée et cela faisait neuf jours que l’on s’acharnait à pêcher vainement dans les sauts. JB me dit : « allez c’est la der, on y croit ! ». Dix minutes après, la forêt retentissait de cris de joies et de délivrance : JB a fait LE poisson, et tout était dans la boîte, filmé en aérien… Je ne vous raconte pas la suite…

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